L’idée a émergé au mois de janvier 2024, alors qu’il faisait des repérages sur les lieux de la Sharjah Art Foundation. Dans le Palais Al Dhaid, une ancienne demeure luxueuse reconvertie en lieu d’exposition pour les besoins de l’institution, l’artiste a été frappé par la vue d’une piscine entièrement vide. Il a choisi de l’investir pour la biennale, imaginant une œuvre à la mesure de l’espace.
Cette décision, loin de me surprendre, s’inscrit dans la continuité d’un travail mené par Mahmoud Khaled depuis plusieurs années. Avant notre rencontre, j’ai épluché son site internet à la recherche d’indices, et c’est avec intérêt que j’y ai trouvé certaines œuvres en lien avec son projet pour Sharjah. Deux installations datant de 2016, Painter on a Study Trip et On Building Nations, m’ont particulièrement intriguée : dans chacune d’elles, le motif de la piscine vide revient, laissant entrevoir un thème cher à l’artiste. Lorsque je l’interroge à ce sujet, Mahmoud Khaled mentionne sa rencontre avec la poésie de Sylvia Plath, il y a quinze ans.
« À l’époque, je passais beaucoup de temps sur le blog de l’écrivain américain Dennis Cooper, qui partageait ses textes et ses réflexions sur la littérature. J’étais un grand fan. Un jour, je suis tombé sur l’un de ses posts, un long article à propos des piscines vides qu’il envisageait comme le lieu de potentialités infinies. Il faisait référence à l’écrivaine Sylvia Plath, dont l’un des poèmes explore l’image de la piscine comme lieu de projection des imaginaires. C’est là que mon intérêt pour les piscines vides est né. J’y ai déjà fait allusion dans mes précédents travaux sans pouvoir véritablement investir un tel espace. »
Jusqu’alors, je n’avais jamais envisagé qu’une piscine puisse servir la projection de quelconque imaginaire. Très prosaïquement, je l’associais seulement au soleil, aux vacances, au luxe – en un mot, à une forme de plaisir oisif. À tort. L’appréhension que l’on a d’un lieu dépend de son contexte. Pour Mahmoud Khaled, la piscine, une fois vidée de sa substance, devient un lieu où s’ouvre le champ des possibles. « Lorsque j’ai vu la piscine du Palais Al Dhaid à Sharjah, c’est devenu une évidence. Comme elle n’avait déjà plus son carrelage d’époque, je me suis dit que c’était l’occasion de m’inspirer des azulejos pour investir cet espace vide, le combler (sans le remplir), en proposant une œuvre in situ. » Tel un puzzle dont il aurait assemblé les pièces, Mahmoud Khaled évoque aussi, à travers ce clin d’œil à la faïence portugaise, la lourde histoire de l’émirat de Sharjah, dont les archives confirment la présence de l’Empire colonial portugais au cours du 16e siècle.