Dans l’histoire de la colonisation, l’Afrique a été perçue comme une Terra nullius – un territoire sans maître à conquérir. Au nom d’un prétendu défi civilisationnel, les puissances coloniales se sont ainsi déployées aux quatre coins du continent : développer, aménager, exploiter et adapter, jusque dans les terres les plus arides, pour assouvir le fantasme occidental de la modernité. Catastrophes sur les plans environnemental et humain, les chantiers menés par le gouvernement fasciste en Libye au cours du 20e siècle s’inscrivent précisément dans cette course au progrès.
C’est également au nom du progrès que des technologies de pointe sont aujourd’hui développées en Occident. Au milieu de ce « techno-fétichisme capitaliste » – pour reprendre une expression chère à l’artiste – certaines initiatives semblent mues par des ambitions plus nobles, désireuses de s’adapter, face au réchauffement inéluctable de la planète. « Mais l’adaptation est-elle une réponse satisfaisante à la crise climatique en cours ? » C’est une question qu’Adelita Husni-Bey a souhaité poser aux scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Auprès de ces experts en systèmes hydrauliques, l’artiste a tenté de comprendre les mécanismes de pouvoir à l’œuvre derrière ces grands chantiers de développement.
Dans l’espace de l’exposition, une aveuglante lumière rouge annonce le troisième et dernier chapitre de ce parcours immersif, tandis que les haut-parleurs diffusent les paroles des chercheurs du MIT. « Adaptability », entend-on à plusieurs reprises. À travers ce mot, pensé comme un leitmotiv, Adelita Husni-Bey met en regard l’histoire coloniale et les défis environnementaux d’espaces aujourd’hui submergés par les inondations. Après les crues qui ont dévasté la ville de Derna, dans l’est de la Libye, en 2023, ce sont celles qui ont englouti Sharjah en 2024 que l’on voit se déverser sur les écrans. Saisissantes, les images contrastent avec les voix monotones des scientifiques, soulignant le hiatus entre capitalisme et écologie. Car les puissances occidentales, responsables du dérèglement climatique depuis la période industrielle, ont façonné la notion d’adaptabilité. Au lieu de réduire leurs émissions, elles ont préféré mettre au point des technologies coûteuses pour lutter contre une situation qu’elles ont elles-mêmes créée. Inaccessibles aux pays du Sud les plus pauvres, ces technologies restent l’apanage des nations hégémoniques du Nord. La quête ultime du progrès scientifique nous aurait-elle fait basculer ?
Tendant l’oreille vers le pipeline, la voix d’un professeur du MIT résonne, avant de disparaître, noyée dans les murmures de l’eau.