C’est un déjeuner sur glace hors norme. Autour d’une immense table de pique-nique, les communautés de géants sont rassemblées pour la première fois. Au gré de conversations multilingues, mêlant français, anglais, flamand, italien et espagnol, les rencontres se font, tandis qu’une troupe de joyeux musiciens entonne des airs entraînants, rythmant cette partie de campagne insolite. Sous les gestes frénétiques du chef d’orchestre, percussions, saxophones, clarinettes, tambourins et cymbalettes s’associent dans un ensemble mélodieux au titre évocateur : Géants. « C’est un morceau que j’ai composé spécialement pour l’occasion. Mais j’ai du mal à réaliser, c’est complètement fou de jouer ce morceau ici, entouré de tous ces colosses qui nous regardent. » Le spectacle qui s’offre à nous semble en effet surréaliste. Sur cette mer de glace, les géants encerclent les musiciens des groupes bruxellois Salamba et Filarmonix, qui jouent sans relâche, maquillés de couleurs chatoyantes et vêtus de peaux en fausse fourrure, à mi-chemin entre les Vikings et les Enfants perdus du Pays Imaginaire. D’aucuns ne se font pas prier pour danser, et accompagnent volontiers la cadence en agitant les immenses drapeaux roses de Petticoat Government. Dans cette ronde effrénée, les bonnets orange des représentants de Mettekoe se mêlent aux blousons de cuir des motards d’Edgar, tandis qu’une vendeuse agite les figurines du géant sous les yeux de ceux qui veulent bien l’adopter.
Dans cet espace-temps où les frontières et les corps se mêlent au rythme battant des percussions, Petticoat Government transforme l’espace public en un lieu de résistance. « D’une part, il y a l’idée de « faire avec », qui est inévitablement politique. C’est une manière de refuser l’individualisme consacré par la société capitaliste : face à l’individu, nous avons choisi le collectif. D’autre part, investir l’espace public de cette manière, comme le font habituellement les géants, est très symbolique. Nous avions envie de créer du lien, de célébrer… de protester dans la joie. » Si le militantisme est une fête, pour citer Silvia Federici, la fête est, elle aussi, incontestablement militante.
Reprenant sa route vers Venise, l’équipe marque une étape supplémentaire à Padoue pour imprimer son journal géant. Dans l’emblématique imprimerie de la Gazzetta, les caractères imprimés défilent sur d’immenses rouleaux de papier rose, faisant apparaître les prémices de ce scénario tant attendu.
C’est finalement à bord d’un chaland que le collectif fait son apparition dans la lagune vénitienne. Foulant le sol des Giardini, Petticoat Government signe alors le premier pas des géants au sein de la Sérénissime Biennale de Venise.