
Publié le 06/05/2024
La revue des biennales d’Art contemporain – Numéro 2 – Biennale de Sharjah
Maya
Publié le 06/05/2024
Pendant la Biennale, Le Grand Tour invite les commissaires à partager leurs highlights des expositions à ne pas manquer si vous êtes de passage…
« Traversant à toute allure les différents lieux d’exposition au cœur de la ville de Sharjah, guide en mains, je suis parfaitement consciente du manque de temps et de l’impossibilité de voir l’intégralité de cette biennale aux multiples facettes. L’ampleur de cette édition est exceptionnelle : cinq commissaires, plus de deux cents œuvres et cent-quatre-vingt-dix participants sont répartis dans tout l’émirat. De nombreuses œuvres ont fait l’objet de recherches approfondies, mais sans une mise en contexte préalable, il est difficile de s’y plonger pleinement – notamment en raison du très grand nombre d’artistes qui me sont inconnus et dont les œuvres explorent des histoires et des cosmologies nouvelles pour moi. Si cette biennale est d’abord destinée à la communauté de Sharjah et, plus largement, à l’ensemble des Émirats arabes unis – les visiteurs peuvent y revenir tout au long des six mois d’exposition – il convient de redoubler d’efforts pour contextualiser les expositions auprès du public et ainsi garantir leur accessibilité. »
Maya El Khalil
Monira Al Qadiri – Gastromancer
Dans une pièce baignée de lumière rouge, deux coquillages murex se livrent à un échange intime. En tendant l’oreille à l’un puis à l’autre, un dialogue poétique se fait entendre. Composés des écrits de Thani Al-Suwaidi, les coquillages racontent la mutation de leur sexe femelle vers le sexe mâle, causée par l’utilisation du tributylétain (TBT), une peinture rouge appliquée sur le fond des pétroliers et ayant un impact dévastateur sur l’écologie des océans, en particulier sur les capacités de reproduction des coquillages murex. Les couleurs saturées de ces coquillages ravivent des souvenirs d’enfance liés aux histoires sur le pourpre tyrien, une teinture phénicienne associée à la royauté que l’on extrayait autrefois des Murex, établissant ainsi un pont entre les récits environnementaux d’hier et d’aujourd’hui.
◼︎ Al Mureijah Square – Corniche St., Sharjah city (Lire la conversation avec Monira Al Qadiri)
Stephanie Comilang – Search for Life II
Cette double installation vidéo invite à la contemplation. Observable depuis un ponton en bois baigné de lumière, la vidéo principale est projetée sur un écran de perles. L’œuvre interroge les contextes matériels, sociaux et culturels d’un commerce mondialisé – celui de la perle – en constante évolution. Entremêlant les récits de la plongée perlière et de la vie nomade, Search for Life II (2025) tisse, à partir de récits personnels, des correspondances entre le Golfe, la Chine et les Philippines.
◼︎ Al Mureijah Square – Corniche St., Sharjah city
Sangdon Kim – Egg that has spent the night et Egg Moth Heart
Quelle belle découverte ! La série Egg that has spent the night (2022 – 2023) de Kim est composée d’étonnantes sculptures ovoïdes qui captent immédiatement l’attention. Leur équilibre fragile – elles sont disposées de manière inhabituelle, à l’envers, avec des surfaces curieusement pointues en guise de base – instaure un subtil jeu de tensions. Inspirées des traditions chamaniques coréennes, où l’œuf symbolise la transition entre la vie et la mort, ces sculptures ne sont pas de simples objets ; ce sont de véritables vaisseaux cosmiques. Les collages de sa série Egg Moth Heart (2022), laissent eux aussi transparaître une dimension métaphysique. Les peintures réalisées avec des matériaux traditionnels coréens sont particulièrement remarquables et me font penser à l’œuvre d’Hilma af Klint.
◼︎ Bait Al Serkal – Al Shuwaiheen, Al Gharb, Sharjah city
Helene Kazan – Clear Night
Je suis tombée par hasard sur ce travail de recherche mené au sujet l’emblématique chanteuse druze-syrienne Amal Al-Atrash (connue professionnellement sous le nom d’Asmahan). Une rencontre surprenante, puisqu’Amal Al-Atrash faisait partie de ma famille. J’ai grandi avec sa musique, gardant en mémoire sa palette vocale unique et sa voix puissante. L’exposition retrace sa vie, jusqu’à sa mort mystérieuse, dans un accident de voiture, en 1944. Un film poétique mettant en lumière le processus de recherche est également présenté et replacé dans le contexte plus large des opérations coloniales britanniques et françaises dans le Levant.
◼︎ Bait Al Serkal, Sharjah – Al Shuwaiheen, Al Gharb, Sharjah city
Akram Zaatari – All that Refuses to Vanish: The Tabnit Monolith
Installée dans le jardin du Palais Al Dhaid, cette œuvre fait preuve d’une sobriété remarquable dans sa manière de traiter d’histoires complexes. Zaatari a reproduit avec précision un ancien monolithe, suspendu ici à une structure industrielle dans une mise en scène percutante qui rappelle l’extraction archéologique. La forme minimaliste et épurée de l’œuvre dissimule ses nombreux messages au sujet des pratiques coloniales et des histoires invisibles. À partir de documents archéologiques, l’artiste reconstruit non seulement une forme physique, mais restitue aussi ce qui a été enlevé et occulté, comme une manière de rappeler que le passé n’est pas prêt de se dissiper.
◼︎ Arts Palace – Al Dhaid, Sharjah