Cette multiplication des lieux d’exposition ne s’est pas encore accompagnée d’un accroissement substantiel des ressources dans l’enseignement et la recherche. Du point de vue institutionnel, aucune chaire universitaire n’est à ce jour consacrée à l’art du monde arabe ou du Moyen-Orient spécifiquement, même dans les grandes universités américaines. À Abu Dhabi, des enseignements sont donnés sur ces sujets, notamment dans le cadre du master en histoire de l’art et commissariat d’exposition proposé par La Sorbonne, ainsi qu’à la New York University, dans le cadre de leur programme d’histoire de l’art. À la Virginia Commonwealth University, à Doha, Holiday Powell, autrice d’une thèse sur l’École de Casablanca, enseigne l’histoire de l’art et propose un focus sur l’art de la région. À Beyrouth, deux programmes de master font une place de choix à l’art dans le monde arabe. De même, à l’Université américaine (AUB), le master en histoire de l’art et commissariat d’exposition met un accent sur les arts de la région, notamment grâce aux enseignements de Saleem Al-Bahloly, connu pour ses recherches sur l’art moderne en Irak. Kirsten Scheid, spécialiste de l’art moderne au Liban (Fantasmic Objects, 2022), enseigne également à l’AUB et a été co-commissaire, avec Octavian Esanu, de l’exposition The Arab Nude : The Artist as Awakener, organisée à la galerie de l’université en 2016. À l’Université St. Joseph, Nayla Tamraz dirige un master professionnel trilingue en critique d’art et commissariat d’exposition, centré sur les pratiques locales, libanaises et arabes.
En Europe, la recherche et l’enseignement autour de ces thématiques se font dans le cadre plus général de l’histoire de l’art, et principalement dans les cursus consacrés à l’art global. De 2015 à 2022, l’Université de Berne a engagé Nadia Radwan, spécialiste de l’art égyptien moderne, autrice des Modernes d’Égypte (2017). À l’Université de Genève, j’ai moi-même donné un séminaire destiné aux doctorants travaillant sur ces thématiques entre 2009 et 2012, outre quelques autres enseignements de niveau master dans le cadre d’un cursus en arabe. Sans doute que l’initiative la plus durable à ce jour, et la plus cohérente, dans l’enseignement de cette matière est celle qui a lieu depuis 2013 à Paris, à l’Institut d’études de l’Islam et des sociétés du monde musulman et l’EHESS, où le groupe Groupe de recherche sur les Arts Visuels du Maghreb et du Moyen-Orient (ARVIMM) tient un séminaire pour des étudiants en master et en doctorat, accessible à toute autre personne intéressée.
Aux États-Unis, Anneka Lenssen (Beautiful Agitation, Modern Painting and Politics in Syria, 2020) enseigne un cursus d’art global à l’Université de Californie, à Berkeley. Nada Shabout, directrice de la Contemporary Arab and Muslim Cultural Studies Initiative (CAMCSI) au sein de l’University of North Texas, promeut l’art moderne du monde arabe à travers de multiples initiatives. Ailleurs, des cours d’art arabe moderne sont intégrés dans les cursus d’art islamique : c’est le cas à la Rutgers University, où enseigne Alexandra D. Seggerman, autrice de Modernism on the Nile (2019). Il n’est pas rare aux États-Unis que des thèses en art moderne et contemporain aient été suivies par des spécialistes de l’art islamique, qui ont ensuite élargi leur champ d’études à l’art moderne et contemporain. Ainsi, Sam Bardaouil, commissaire d’exposition connu pour son partenariat avec Till Fellrath, a consacré sa recherche doctorale au mouvement surréaliste égyptien (Surrealism in Egypt, 2016) à l’Université Columbia de New York, sous la direction de Avinoam Shalem, spécialiste de l’art islamique médiéval et des cultures visuelles globales en Méditerranée.
L’intérêt pour le sujet auprès des jeunes chercheurs est évident. Ces dix dernières années, de nombreuses thèses de doctorat sont venues enrichir les connaissances dans le domaine. Plusieurs ont été soutenues à l’Université de Genève, comme, très récemment, celles sur le futurisme arabe dans l’art contemporain (Joan Grandjean), l’écriture de l’histoire de l’art en Irak (Zouina Aït Slimani) ou la non-inclusion d’artistes arabes entre la première et la neuvième édition de la documenta (Mirl Redmann). En France et en Allemagne, des recherches doctorales relevant de champs disciplinaires multiples (selon l’encadrement), ont été consacrées à des artistes, comme l’Égyptien Mahmoud Mukhtar (Elka Correa, 2014), le Syrien Marwan (Nagham Hodeifa, Marwan, Face-à-face, 2018) ou l’Irakien Hafez Al-Droubi (Sarah Johnson, 2019), mais aussi aux artistes femmes en Égypte (Nadine Atallah, 2022) ou en Tunisie (Laetitia Deloustal, 2014), aux scènes artistiques contemporaines du Yémen (Anahi Alviso Marino, 2015) ou de la Palestine (Marion Slitine, 2019).
Un des obstacles majeurs rencontrés par les chercheurs est la difficulté d’accès, et souvent aussi, la localisation des archives. Les États, pour des raisons diverses – par insuffisance de ressources, humaines comme financières, par manque d’intérêt ou à cause d’une situation générale précaire – n’ont pas collecté les documents concernant les artistes. Une exception était celle de l’Irak, qui avait établi des archives nationales pour les arts plastiques dans les années 1970, une période durant laquelle l’État irakien, avec la nationalisation du pétrole, disposait de moyens importants qu’il investissait, entre autres, dans les arts. Ces archives, pillées en 2003, n’ont pas pu être retrouvées. Au-delà de ce cas spécifique, les archives des artistes sont conservées par leurs ayants-droits, dont beaucoup ont émigré aux quatre coins du monde. C’est dans le but de centraliser ces legs et de les mettre à disposition des chercheurs qu’a été créé en 2020 Al Mawrid Arab Centre for the Study of Art à la New York University d’Abu Dhabi, à l’initiative de l’historienne de l’art Salwa Mikdadi.
Ce manque de documentation est également évident du fait de la quasi-absence de catalogues raisonnés, même pour les artistes les plus célèbres et les mieux cotés. Les deux catalogues que le musée Nicolas Sursock avait publiés lors des expositions rétrospectives d’Omar Onsi en 1997 et de Moustafa Farroukh en 2002 étaient ce qui s’en approchait le plus. Plus récemment, ce sont les maisons de vente, qui, souhaitant retracer l’origine des œuvres, sont à l’initiative de ces catalogues, comme en témoignent celui du peintre égyptien Mahmoud Said (1897 – 1964), paru en 2016, ou celui dédié à l’artiste irakien Jewad Selim (1919 – 1961) en 2025.