Depuis son enfance, Eimear Walshe entretient un rapport très particulier avec la pratique du dessin, considérée alors comme une nécessité, « une bonne manière d’occuper son temps » peut-on l’entendre confier au média The Douglas Hyde en juin 2022. De fait, sa relation avec l’art découle d’un besoin : « [le dessin] me permettait de rester calme. » En grandissant, alors que sa sœur aînée part à Galway pour ses études, c’est par le biais de lettres échangées avec elle que l’artiste en devenir exerce son art, en bardant ses missives d’illustrations diverses et variées, de collages élaborés avec des images tirées de magazines ou encore de constructions de petites maisons en papier…
Ce mode de communication se transforme rapidement en canal d’expression idéal pour explorer des thèmes majeurs sur lesquels Eimear Walshe se penche, à mesure que son approche de la création artistique est raffermie par une connaissance plus théorique de la matière. L’histoire de l’art et celle de l’Irlande deviennent les deux grands piliers de sa pratique, qui se concentre peu à peu sur des sujets plus précis : la propriété privée, la sexualité traditionnelle, l’architecture et les espaces ruraux…
Depuis, l’artiste n’a cessé de creuser le sujet de la contestation des terres en Irlande par le biais de vidéos, de sculptures ou de publications. C’est avec beaucoup d’humour et un certain sarcasme qu’iel aborde ces questions. En 2021, son film The Land Question: Where the fuck am I supposed to have sex? ironise les relations sexuelles pour interpeller le public sur le manque d’accès à la propriété. Partant d’un constat simple selon lequel plus de 10 000 personnes se trouvent aujourd’hui dans une situation précaire ou urgente en ce qui concerne leur logement, l’artiste pose la question suivante : où peuvent-ils trouver un lieu sûr pour coucher ensemble ? Disséquant de façon incisive et historique les limites légales et sociales imposées aux relations sexuelles, Eimear Walshe remet en cause les principes de l’espace public et de l’espace privé.
Poursuivant dans ce même sillon, Eimear Walshe publie un pamphlet en collaboration avec la National Sculpture Factory de Cork, intitulé The Land For The People. Ce workbook ne se contente pas de faire l’état des lieux d’une crise du logement ou de l’habitat, mais aussi d’interpeller sur les thèmes de l’héritage, des flux migratoires et de l’aménagement du territoire. Marquée par le lourd legs de la guerre agraire des années 1870, l’Irlande continue de s’embourber dans une crise immobilière inédite ces trois dernières années (en 2023, la pénurie de logements a débouché sur une hausse de 18 % du prix mensuel des nouvelles locations).
Il semblait dès lors naturel que le travail d’Eimear Walshe, jusqu’ici visible à la Temple Bar Gallery and Studios (Dublin), s’exporte cette année jusqu’à Venise pour porter à l’attention d’un public plus large les problématiques du sol. En lien avec le thème de la Biennale Foreigners Everywhere, son œuvre continue d’interroger des concepts plus que jamais d’actualité, tels que « l’éviction », « le refuge » ou « l’effacement » – d’une présence, d’une propriété, d’une habitation…