Pour la jeune artiste que j’étais, Okwui était un personnage intimidant. Je connaissais l’importance de son travail et sa contribution majeure à la transformation de la géographie de l’art. Il m’a proposé de déjeuner avec lui, et j’ai bredouillé un « sure, see you ». L’homme élégant, généreux et drôle, au rire tonitruant, a rapidement brisé la glace. À l’époque, j’avais commencé à exposer, mais je n’avais pas imaginé qu’un commissaire de la stature d’Okwui puisse s’intéresser à mon travail. De cette première rencontre, je me souviens de sa curiosité : « Sur quoi travailles-tu ? » ; « As-tu des expositions prévues ? » J’ai compris par la suite qu’il souhaitait m’inviter à l’édition de Meeting Points, dont il était le commissaire, et qui devait avoir lieu à Beyrouth, Bruxelles et Berlin en 2011. Quelques jours plus tard, j’étais officiellement conviée à participer à cette exposition. À chaque fois qu’il m’invitait à contribuer à l’un de ses projets, il me demandait : « Do you have an idea? » Et je répondais toujours la même phrase : « I do, but I can’t tell you yet. » Et c’est ainsi que The Constellations Series a été produite pour Meeting Points, et The Speeches Series pour la Triennale au Palais de Tokyo, à Paris, en 2012, parmi d’autres œuvres.
En 2021, Hoor Al-Qasimi m’appelle et m’annonce qu’elle va curater la 15e Biennale de Sharjah, une édition particulière, puisqu’elle célèbre le 30e anniversaire de l’événement. À l’origine, elle avait demandé à Okwui d’en être le commissaire ; mais c’est finalement une exposition posthume d’Okwui qui est réalisée par Hoor.
L’idée de départ était de commander à trente artistes une œuvre répondant à ce thème : Thinking Historically in the Present. Hoor me dit que je fais partie de la liste d’Okwui et me demande si je souhaite participer. Je suis émue et les larmes montent. Je pense à lui, sur son lit d’hôpital, travaillant à son idée pour la biennale, finalisant sa liste d’artistes. Je me reprends et lui réponds : « Of course. » Hoor me demande « Do you have an idea? » Et je lui réponds, comme je le faisais avec Okwui : « I do, but I can’t tell you yet. »
J’avais rencontré Hoor lors des March Meetings, en 2010. Je l’ai mieux connue en 2011, lors de ma première participation à la Biennale de Sharjah. C’est à cette occasion que j’avais révélé The Mapping Journey Project, que je venais de terminer, et qui a été présenté au Pavillon central de la Biennale de Venise, à l’Arsenal, en 2024.
Après 2011, j’ai revu Hoor à plusieurs reprises. J’admirais sa vision. J’admirais comment elle avait réussi à faire de la biennale et de la fondation un lieu hospitalier pour les artistes et le public. Comment elle avait placé Sharjah sur la carte du circuit des biennales majeures. Et surtout, comment elle mettait en avant des artistes « comme moi », dont les trajectoires et les origines diverses proposent de nouvelles formes d’appartenance transnationales et solidaires.