Née en 1970, Anna Jermolaewa a grandi à Léningrad (ex-Saint-Pétersbourg), deuxième plus grande ville de l’URSS. « C’était une époque où l’Union soviétique décidait de ce que l’on devait savoir ou non. Swan Lake passait sans arrêt sur la seule chaîne de télévision qu’il y avait. Aujourd’hui, tout le monde connaît sa signification en Russie. C’est comme une citation. »
De ce souvenir d’enfance si particulier est né un travail collaboratif de longue haleine. Sous l’œil avisé d’Oksana Serheieva, chorégraphe et amie de l’artiste, quatre danseuses de ballet se sont réunies chaque jour, pendant plusieurs semaines, afin de rejouer des morceaux choisis du Lac des Cygnes. De ces performances, Anna Jermolaewa a conservé une trace. Dans l’espace d’exposition, miroirs et barres en bois évoquent l’atmosphère du studio de danse, et l’on découvre, sur un immense mur de LED, les extraits de ces répétitions jouées par les danseuses. Rehearsal for Swan Lake, peut-on lire en guise de titre.
Pour l’inauguration de la Biennale, Oksana Serheieva rejoue la performance en temps réel. Vêtue d’un costume de ballet que l’on reconnaît aisément comme celui du Lac des Cygnes, la danseuse entame des pas gracieux dans l’espace même du pavillon, tandis que l’air de Tchaïkovski se répète à l’infini.
Pour Jermolaewa, ce travail transcende la seule question mémorielle : c’est un moyen de se réapproprier une œuvre dont l’essence a été vidée de sa signification. Est-ce un statement politique ? « Oui, c’est même un appel au changement, et la collaboration avec Oksana est cruciale dans ce travail. » Toutes deux forcées à l’exil, elles font de l’œuvre de Tchaïkovski un lieu de résistance.
La pratique artistique d’Anna Jermolaewa est d’ailleurs indissociable de son engagement politique. Dès les années 1980, elle rejoint les manifestations organisées par les dissidents du régime soviétique. Alors étudiante en école d’art à Léningrad, elle n’a que 17 ans lorsqu’elle participe à la création du premier parti d’opposition en URSS, l’Union démocratique. « Nous avions des méthodes claires : écrire des textes, organiser des manifestations, distribuer des pamphlets, publier dans le journal qui critiquait le régime… »