Dans l’élaboration de son exposition, Aindrea Emelife s’est interrogée sur les possibilités de se lier à une nation, notamment lorsque l’on vit hors de celle-ci. Elle-même issue de la diaspora nigériane et vivant à Londres, la commissaire confie qu’une grande partie de ses interactions avec le Nigéria ont été intermittentes, ponctuées par de nombreux voyages. Le regard qu’elle porte sur le pays est ainsi différent de la perception que peuvent en avoir les locaux, sans se défaire pour autant de son identité nationale. Appartenir à la nation nigériane serait plus large que naître, grandir ou vivre dans le pays ; elle impliquerait également des cultures, des histoires, des valeurs et des visions communes.
Pour Aindrea Emelife, parler d’identité(s) nigériane(s) suggère inévitablement la construction d’un imaginaire collectif. C’est ainsi qu’elle a souhaité convier des artistes issus de différents milieux, horizons, ethnies et générations, afin de cerner pleinement un large échantillon d’images constitutif de l’imaginaire nigérian. « Le Nigéria est un pays si peuplé, si diversifié… Tant de langues parlées, tant d’ethnies différentes… Et une sorte de construction nationale très intéressante. J’ai donc voulu faire écho à ces différents aspects à travers la sélection des artistes. Les gens aiment penser le pays et la diaspora comme deux choses distinctes, alors qu’en fait, c’est beaucoup plus nuancé que cela. Le fait d’avoir des artistes intergénérationnels permet également d’activer des points de référence multiples. Naturellement, ils pensent tous à des instants différents lorsqu’il s’agit de réveiller leurs propres souvenirs, ce qui active ensuite, je suppose, la mémoire culturelle collective. »
Né en 1962, Yinka Shonibare, l’un des doyens de cette sélection, signe cette année sa cinquième participation à la Biennale de Venise. Au sein du pavillon national, il présente une installation monumentale en mémoire à l’expédition punitive de Benin City en 1897. Toyin Ojih Odutola (née en 1985) expose quant à elle une série de dessins rendant hommage à l’héritage des maisons Mbari, maisons sacrées des divinités Igbos, et questionne les rapports vernaculaires qu’elles entretiennent avec l’histoire et la mémoire personnelle des Nigérians. Precious Okoyomon (née en 1993) présente une installation sonore conçue à partir d’une compilation d’entretiens qu’elle a réalisés avec des artistes, poètes et écrivains nigérians – une manière d’élargir cette mémoire devenue désormais collaborative. Né en 1979, Abraham O. Oghobase questionne enfin la notion d’archive en lien avec le présent, à travers une exposition de photographies de paysages et de portraits.
Autant de sujets et de médiums utiles à la constitution et la compréhension de cet imaginaire. Comme l’explique Aindrea Emelife : « Imaginer, c’est souvent s’aligner avec des idées d’utopies et de nostalgies ; cela dévoile un regard critique, parfois un sentiment de désillusion. Les artistes ont réagi à leur manière : ils se sont penchés sur notre passé, historique, et sur notre présent, contemporain. À partir de là, ils ont imaginé de nouvelles voies pour le Nigéria, de nouvelles routes qui n’ont pas été empruntées ou qui auraient pu être empruntées. Au fur et à mesure qu’elles se rejoignent, [ces routes] deviennent presque un manifeste pour l’avenir. »