Venise est une fête
Publié le 06/05/2024
Publié le 06/05/2024
Il y a tant de souvenirs liés à la Biennale de Venise qu’il m’est impossible d’en choisir un. Pourtant, s’il est un sentiment que je conserve en mémoire, telle une amulette, c’est sans conteste celui de l’amitié.
Déjà en 2001, alors que je participais pour la première fois à la Biennale dans le cadre des Off, l’amitié guidait mes pas dans cette grand-messe de l’art contemporain. C’était une période d’effervescence pour les artistes africains, et l’exposition Authentic/Ex-Centric dans laquelle j’avais exposé sous la houlette de Salah Hassan traduisait bien cette solidarité panafricaine. J’en garde un précieux souvenir, car j’ai noué des liens très forts avec des artistes dont l’histoire résonne encore avec la mienne. À cette époque, je n’aurais jamais imaginé exposer dans un pavillon national.
J’ai été très émue d’être choisie pour représenter la France à la Biennale plus de vingt ans plus tard… Je pense que tout artiste vit sa nomination comme une consécration professionnelle. Je me rappelle m’être dit « Venise est une fête », et j’ai souhaité préserver cette vision tout au long du projet. Ici, plus que jamais, j’avais besoin d’être entourée de ma « tribu », comme j’aime l’appeler. Ma famille et mes amis, artistes, commissaires et producteurs, ont tous mis la main à la pâte. Ces amitiés sont les piliers de mon œuvre, elles en ont éclairé chaque étape, et j’ai voulu transmettre au visiteur cette chaleur humaine.
Dreams Have No Titles est, à l’image de mon travail, autobiographique. C’est une œuvre très intime, qui part du cœur et entremêle de nombreux souvenirs, mais toujours avec la part d’humour et d’autodérision qui me caractérise. Dans l’espace d’exposition, j’ai reproduit mon salon avec des objets que j’ai chinés à Londres (j’adore chiner !) ; je me suis amusée à reporter des vêtements des années 1960, retrouvés dans ma garde-robe ; j’ai tourné un film sur le cinéma militant, à Venise, Londres et Paris, dans lequel mon père et mon fils jouent… J’aime beaucoup revoir ce film sur mon père récemment décédé. Cela me rappelle combien je l’ai aimé et comme nous étions proches avec mon fils.
Dreams Have No Titles a été pensée comme une invitation à jouer et à rêver, dans ces décors de films qui évoquent des maisons de poupée. Je me souviens que la découverte de l’exposition par le public a été très émouvante. Chacun a su s’approprier l’espace de ces utopies concrètes où se matérialise le rêve. Beaucoup dansaient au bar, d’autres lézardaient dans mon salon… Le public était invité à jouer sa propre performance, en quelque sorte. Lorsque j’ai vu la queue interminable devant le pavillon, j’ai réalisé que j’avais réussi mon pari.
Au fond, mon histoire est surtout un prétexte pour raconter celle des autres : c’est une œuvre universelle. À travers ces archives du cinéma militant, qui a connu un âge d’or à Alger dans les années 1960, j’ai surtout voulu parler de cette solidarité qui unit les peuples des Suds globaux depuis les Indépendances. J’ai voulu dire des choses que mes parents n’ont pas su, ou peut-être pas pu dire de leur propre histoire. Le faire au sein du pavillon français est éminemment symbolique, car il touche à l’histoire coloniale.
En tant qu’artiste franco-algérienne née de parents immigrés, je me suis souvent demandé ce que signifiait représenter la France dans un tel événement. Peut-être est-ce finalement cette complexité et ces croisements culturels qui caractérisent le pays aujourd’hui. Il était temps pour le pavillon français de s’en saisir. Les biennales ont été et peuvent encore être des plateformes d’échanges et de développement d’idées militantes sur des sujets aussi importants et contemporains que l’exil, le déplacement ou l’exode. Le thème cette année, Foreigners Everywhere, résonne très intimement avec mon œuvre et je suis heureuse de passer le flambeau aux artistes de cette 60e édition.