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DO YOU SPEAK CONTEMPORARY ART ?

Si vous aussi vous relisez trois fois le cartel pour tenter d’en comprendre le sens, que vous usez ou abusez d’expressions dont vous connaissez vaguement la définition : ce glossaire est fait pour vous. Déformation professionnelle oblige, on les emploie nous aussi, et à outrance…

Voici une petite sélection des mots-clés du moment glanés çà et là dans les hauts lieux de l’art contemporain. Avec l’humour en bonus !

Anthropocène

néologisme. Il était une fois l’être humain… Nouveau chouchou des expositions, l’Anthropocène désigne l’ère géologique à partir de laquelle l’activité humaine est devenue la variable prédominante de tous les écosystèmes, entraînant de profondes mutations à l’échelle planétaire. Ses origines remonteraient à la révolution industrielle, lorsque l’humain est devenu l’acteur central des perturbations de la biosphère.

Capitalocène

néologisme bis. Comme l’Anthropocène, à ceci près que tous les êtres humains ne sont pas responsables des bouleversements environnementaux. En réalité, c’est surtout la faute du capitalisme et de ses pratiques extractivistes, dont les ravages se font aujourd’hui sentir. Loin d’être expertes (et exemplaires) sur le sujet, nous vous conseillons plutôt de lire les textes éclairants d’Andreas Malm, Donna Haraway et Malcom Ferdinand…

Curater

verbe trans. Anglicisme désagréable pour l’ouïe, mais l’on doit avouer que cet abus de langage est devenu systématique… En même temps, « commissariat d’exposition », ce n’est pas beaucoup plus sexy…

Hétérotopie

nom. On s’en doute, utopie et dystopie n’ont pas de secret pour vous. Mais connaissiez-vous l’hétérotopie, ce concept théorisé par Michel Foucault en 1967 ? Pensées comme des « lieux autres », les hétérotopies désignent ces espaces concrets qui abritent l’imaginaire et obéissent à des règles qui leur sont propres, en rupture avec la société dont elles font pourtant partie. Là où l’utopie reste de l’ordre de l’idéal, l’hétérotopie se réalise physiquement. Le cimetière en est une, tout comme la bibliothèque, le musée et le théâtre… Évidemment, la Biennale de Venise n’échappe pas à cette définition !

Immersif

adj. Celui-ci, c’est la nouvelle coqueluche des expositions d’art contemporain… Mais si toutes les installations sont immersives, quel intérêt de le préciser ? C’est presque tautologique à ce stade.

Intersectionnalité

nom. Employée en sociologie, l’intersectionnalité désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination (racisme, sexisme, homophobie, islamophobie, mépris de classe, validisme…). Ces discriminations interagissent et se renforcent mutuellement, de telle sorte qu’elles ne peuvent être étudiées – et combattues – séparément. Parce qu’on aime bien citer nos sources, c’est à l’universitaire américaine Kimberlé Williams Crenshaw que l’on doit ce concept. En 1989, elle emploie « intersectionnalité » pour désigner le sexisme et le racisme subis en même temps par les femmes afro-américaines, grandes oubliées des luttes féministes et anti-racistes d’alors. Fondamentale, l’intersectionnalité révèle la complexité des inégalités sociales, que l’étendard universaliste tend à invisibiliser.

Mix-media

adj. Y-a-t-il encore des œuvres qui ne sont pas mix-media en 2024 ? Vous retrouverez cette locution sur tous les cartels et dans tous les catalogues… Au choix, composite, pluridisciplinaire ou protéiforme fonctionnent aussi.

Post-

préf. Du latin post qui signifie « après », ce préfixe est utilisé sans modération sur tous les cartels d’exposition. Postmoderne, postcolonial, post-matériel, post-industriel, post-humain, post-apocalyptique… C’est une manie ! Dans les méandres de cette pensée post-, nous avons quand même fait le choix de vous proposer deux définitions fondamentales de l’histoire de l’art.

Postcolonial

adj. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’adjectif « postcolonial » ne se limite pas à « l’après » de la colonisation : il ne s’agit pas d’une période historique qui débute avec les Indépendances, mais d’un champ d’études critiques apparu à la fin des années 1970. Les études postcoloniales offrent les outils méthodologiques pour analyser le phénomène colonial et son héritage à l’époque contemporaine. Là où le post-colonial désigne une rupture temporelle, le postcolonial, lui, incarne l’idée de continuité. Il examine et décortique les récits qui ont servi à légitimer l’entreprise coloniale, et met en évidence les résurgences de ces systèmes de domination.

Postmoderne

adj. Aïe, personne n’est d’accord sur celle-ci… La théorie postmoderne – ou postmodernisme – est apparue pour la première fois du côté des philosophes, chez un certain Jean-François Lyotard en 1979. Mais personne n’a été capable d’en donner une définition précise depuis. Versatile, cette notion n’a pas la même portée en littérature, dans les arts visuels ou l’architecture… Chez les historiens de l’art en tout cas, la critique postmoderne apparaît en réaction (et en rupture) au modernisme de Clément Greenberg. Rejetant la vision évolutionniste et les métarécits de l’art moderne, le postmodernisme valorise la pluralisation de micro-récits dans une perspective transhistorique et multiculturelle. La peinture abstraite n’a plus l’apanage des critiques, qui s’intéressent désormais aux formes reproductibles et expérimentales de l’art contemporain, lesquelles trouvent désormais leur place dans les expositions (photographie, vidéo, art digital, installation, performance etc.) Si vous n’avez pas tout compris, c’est normal, on galère nous aussi…

Queer

adj. Ça, c’est le nouveau token des institutions. Rares sont celles qui prennent la peine de le définir, de le contextualiser, ni même d’inviter les personnes concernées. Il est pourtant omniprésent, saupoudré çà et là sur chaque texte de salle. Signifiant littéralement « bizarre », « étrange » en anglais, le terme queer a d’abord été utilisé comme une insulte à l’encontre des personnes homosexuelles. Dès les années 1980, il est employé par la communauté LGBTQ+ elle-même comme une stratégie pour renverser le stigmate. Queer désigne alors ce qui déjoue les normes binaires du genre et de la sexualité. Aujourd’hui, ce qui est queer évoque de manière plus générale les personnes marginalisées non seulement par le genre, mais aussi par « la langue, la peau, la migration ou l’État » (Eve Kosofsky Sedgwick). Bref, si vous êtes un homme cis, blanc et hétéro, vous n’êtes pas vraiment concerné…

Réenchanter le réel

expr. Comme un tuto pour sortir de son quotidien morne et rébarbatif, (re)voir le monde à travers les yeux des artistes… 

Subversion

nom. À croire que toutes les œuvres sont subversives aujourd’hui, on a pensé bon de rappeler le sens originel de ce mot. Subvertir, c’est avant tout saper l’ordre établi, perturber l’institution et bouleverser les règles sociales afin de renverser le système. Non, ce vase en céramique au Centre Pompidou n’a vraiment rien de subversif…

Suds globaux

subst. Très utilisée dans sa traduction anglaise, l’expression « Global Souths » regroupe les pays dits du « Sud » qui subissent les effets de la mondialisation sur les plans économique, politique, écologique et culturel. Apparue dans les années 1980, cette notion est aujourd’hui critiquée. Derrière cette appellation floue, figure un ensemble hétérogène de pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine et des Caraïbes. Or : 1) ces pays ont peu en commun et 2) cette notion n’existe que par rapport à un Nord – l’autre nom de l’Occident. L’heure n’est-elle pas au dépassement de cette vieille dichotomie ? Si l’on comprend la puissance revendicatrice d’une expression telle que « Suds globaux », il faut aussi avoir conscience de ses limites.

Tokénisme

Donner l’illusion de l’inclusivité sans que rien ne change ? Bienvenue dans le monde pervers du tokénisme ! Dérivé de l’anglais token (« jeton »), le tokénisme est une pratique qui consiste à inclure des personnes issues de groupes minoritaires pour donner l’impression de diversité. Tel l’arbre qui cache la forêt, ces efforts ne sont que des chimères : ils ne servent qu’à dissimuler les formes de discrimination. Combien de musées se targuent de diversifier leur collection quand la part des artistes femmes ne dépasse pas les 20 % ? CQFD.